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La station de Saint-Laurent Saint-Auvent



La station de Saint-Laurent - Saint-Auvent au tout début du 20ème siècle

Située à la lisière de la forêt de Rochechouart près du village de “La Nouzille”, à mi-chemin entre la gare de la sous-préfecture et la station d’Oradour-sur-Vayres sur la ligne Saillat-Bussière-Galant, la station de Saint-Laurent Saint-Auvent occupait autrefois une position économique stratégique en ce qui concerne l’acheminement du bois, des matériaux et des denrées agricoles pour ce territoire du département de la Haute-Vienne.
C’était également un point d’entrée pour les voyageurs en direction de Rochechouart, de Limoges ou de la Charente via la gare de Saillat-sur-Vienne.
De surcroît elle établissait le lien avec la station de tramway toute proche, dans le bourg de Saint-Laurent-sur-Gorre.



Les premières années de fonctionnement


Les gardiens de la station au début du 20ème siècle.

Arrêt du train à vapeur en gare de Saint-Laurent Saint-Auvent.

Ces clichés rarissimes montrent l’entrée en gare du train à vapeur de la compagnie du P. O. (Paris-Orléans), propriétaire de la ligne à cette époque.
On peut remarquer l’un des premiers types de wagons voyageurs de cette époque avec son impériale destinée au stockage des bagages.
Le train s’arrêtait chaque jour dans la direction Saint-Yrieix à 7H28, à 14H37 et à 18H46, et dans la direction Rochechouart-Saillat, à 4H56, 11H58 et 17H02 (horaires d’été). Un train supplémentaire était prévu pour les jours de foire dans la ville de Châlus.

La station de Saint-Laurent Saint-Auvent entre les deux guerres.


Les années 1940 -Le train blindé allemand-

Évocation des souvenirs de Madame Debord, responsable de la station, par sa plus jeune petite-fille.


La station de Saint-Laurent Saint-Auvent à cette époque.

À gauche Mme Debord, responsable de la station. À droite, l’hôtel restaurant en face de la gare.

GARE DE SAINT-LAURENT SAINT-AUVENT : TÉMOIGNAGE DE DEUX FEMMES EMPLOYÉES À LA S.N.C.F. PENDANT LA GUERRE DE 1939-1945 :

La gare de Saint-Laurent Saint-Auvent est une gare de voyageurs et de marchandises.
Deux femmes font fonctionner la gare à cette époque : madame Anne Debord, veuve, chef de “station” et sa fille qui est employée.
Ces deux femmes ont pris leurs fonctions en 1942 à “la Nouzille”. Le mari d’Anne Debord est mort au cours de la guerre de 14-18, la laissant seule avec ses trois filles en bas âge à Angoulême. Anne Debord est entrée à la S.N.C.F. après le décès de son mari.
Les missions principales du chef de station (nomenclature SNCF) :
- Assurer la circulation des trains : cloches, P.N. (passages à niveaux), protection des trains, cantonnement.
- Renseignements horaires.
- Vente de billets voyageurs et expédition des bagages.
- Trafic marchandises (colis – wagons) : écritures, étiquetage des wagons.
- Gestion de la station (bureau, salle d’attente...).

La gare est un lieu de vie très animé : des voyageurs, des soldats qui partent à la guerre ou qui rentrent de permission, des refugiés qui arrivent. Des informations sont échangées car les gens communiquent beaucoup en cette période difficile.
Le trafic marchandise est le plus important : de nombreuses personnes viennent apporter des colis pour les soldats, les prisonniers et les membres de leur famille qui ont faim dans des villes occupées comme Paris... Beaucoup de limousins sont partis travailler à Paris avant la guerre.
Des réfugiés sont là, ils envoient aussi des colis à leur famille...
Les campagnes alimentent en nourriture les villes et les armées : “tout part par le train”.
Les tombereaux et remorques tirés par des vaches ou des chevaux font la queue pour décharger les récoltes dans les wagons, après la pesée sur la bascule. Il faut aussi faire monter les animaux dans les wagons.
Madame Anne Debord et sa fille n’ont souvent pas eu le temps de manger à midi car il faut que tout soit embarqué avant le passage du train. Il prend les wagons pleins, et il détèle des wagons vides mais aussi des garnis contenant les colis et les marchandises commandées et arrivées à destination.
Les commerces du quartier de la gare drainent beaucoup de monde :
- Un hôtel restaurant en face de la gare qui possède la bascule publique permettant de peser animaux, remorques et tombereaux pleins et vides afin de connaître le poids des marchandises à expédier par le train.
- Un marchand de vin qui reçoit des tonneaux par le train. Il les livre ou bien les gens viennent les chercher. Sa famille tient un bar à côté du chai juste en face de la gare.
- Un marchand de “produits du sol” qui reçoit la marchandise à la gare par wagon, notamment les engrais, le ciment, la chaux...
Il les revend ensuite dans les fermes ou à ceux qui se déplacent. La marchandise est stockée dans la halle de la station (PV).
- Un forgeron qui fabrique et répare tout ce qui est agricole et autres...
Les informations circulent entre les gens qui se rencontrent dans ces commerces. Cette partie du Limousin, d’apparence tranquille, va connaître des évènements tragiques. Le massacre d’Oradour-sur-Glane a lieu le 10 juin 1944. Quelques jours après le massacre, Monsieur R. (marchand de produits du sol), habitué à parcourir la campagne, propose aux gens du quartier de la gare d’aller à Oradour-sur-Glane avec son camion pour vérifier ce qui se dit. La fille de madame Anne Debord et son amie qui tient le restaurant en face de la gare font partie de ce déplacement.
Tous ces gens reviennent meurtris et marqués à vie. Les maisons incendiées fument encore. Le village n’existe plus. Ils sont frappés par cette odeur horrible qui se dégage des décombres. Ces deux femmes diront toujours qu’elles n’auraient pas dû y aller. Les quelques mots qu’elles arrivent à dire aux gens et plus tard à leur descendance, font comprendre que l’impensable peut arriver, et qu’il est dur d’affronter la réalité.
Dans le secteur, le maquis est très présent, les soldats allemands sont sur leurs gardes.
Anne Debord a fait passer de nombreux convois militaires allemands dans la gare qu’elle tenait auparavant dans la Vienne entre le Vigeant et Lussac-les-Châteaux avant d’être mutée dans cette station en 1942.
Le Vigeant était un camp militaire allemand. Chars et autres matériels lourds et soldats, transitaient par le train du Vigeant vers Lussac les châteaux et Poitiers ou en sens inverse.


L’ATTAQUE DU TRAIN BLINDÉ ALLEMAND DANS LA FORÊT DE ROCHECHOUART :

Le 18 juin 1944, le train blindé allemand en provenance d’Oradour-sur-Vayres, se déplaçant à vue (moins de 30 Km/h), arrive à “la Nouzille” avec fusils mitrailleurs en position de tir.
Madame Anne Debord, habillée en noir, est sur le quai, seule face au train comme sa fonction l’exige. Sa fille reste dans le bureau de la gare.
Le train dans un silence pesant traverse la gare en direction de Rochechouart vers la forêt qu’il doit traverser avant l’arrivée dans cette dernière ville.
Peu de temps après, les gens de “la Nouzille” sont prévenus qu’ils sont en danger, car le train a été attaqué par les maquisards dans la forêt à moins de trois kilomètres de là...
Les maquisards ont dû battre en retraite. Les soldats allemands sont lourdement armés et très déterminés. Le combat a été violent et il y a des blessés.
La partie du train non déraillée va repartir en marche arrière vers Oradour-sur-Vayres car la locomotive à l’arrière du convoi est intacte ainsi que plusieurs wagons.
Tous les gens de “la Nouzille” partent très vite dans les bois. Madame Anne Debord et sa fille restent à leurs postes comme le service l’exige, même en cas de danger, pour le personnel S.N.C.F..
Les soldats allemands peuvent vouloir arrêter le train sur la voie de garage ou bien attendre du renfort par la route. Tout est possible... Il faut aussi annoncer à la gare d’Oradour-sur-Vayres que le train repart dans leur direction.
Monsieur R. (marchand de produits du sol) apprend la nouvelle. Il voit les gens partir. Il dit aux personnes qui fuient : “on ne peut pas laisser ces deux femmes seules !”. Il n’obtient aucune réponse.
Anne Debord, femme de devoir, ordonne à sa fille de monter dans le grenier et de bien se cacher. Cette dernière ne veut pas laisser sa mère seule. Cette dernière lui lance de nouveau rapidement cet ordre d’une voix ferme, sans appel possible : “monte, tu as ta vie à faire, toi !”.
Monsieur R. arrive. Il reste dans le bureau, hors de vue du quai. Elles se souviendront toujours de son courage et de son soutien moral.
La seule personne que le convoi rencontre, après le déraillement, à la sortie de la forêt et après l’embuscade, est madame Anne Debord, très digne, sur le quai de la gare.
Le train passe très lentement. Les allemands surveillent tout. Anne Debord est dans le viseur des fusils pendant longtemps, même lorsque le train s’éloigne.
Ils ne tirent pas. Anne Debord aperçoit des soldats allemands blessés allongés sur le wagon plate-forme avec d’autres soldats en position de tir. Elle sait de par ce qu’elle a vécu qu’une guerre détruit des hommes et des familles.
Il n’y avait pas de danger dans cette gare pour ce train allemand. Ces soldats ont eu la dignité de ne pas se venger sur une civile de façon brutale après l’attaque qu’ils venaient de subir. Tout était possible à ce moment là de la guerre vu ce qui venait de se passer à Oradour-sur-Glane dix jours plus tôt.


L’APRÈS-GUERRE :

À la fin de la guerre, Anne Debord et sa fille voient revenir par le train, les prisonniers, les soldats, les déportés des camps de concentration.
L’Abbé Elias, curé de Saint-Auvent, a fait le vœu de construire un petit Lourdes si tous les hommes de Saint-Auvent revenaient vivants de la guerre, ce qui a été le cas.
Après la guerre, les statues pour le site catholique de Saint-Auvent arrivent par le train.
La statue de la Sainte Vierge est attendue par une foule importante à la gare. Cette statue de la vierge est portée par des hommes de la gare jusqu’à Saint-Auvent et suivie en procession par les paroissiens qui chantent et récitent des prières conduits par l’Abbé Elias.
La statue de la vierge appelée “Notre Dame de la Paix” sera placée dans le sanctuaire de la grotte de Saint-Auvent.

***--Souvenirs de la fille d’Anne Debord, recueillis et rédigés par sa plus jeune petite fille (publiés sur ce site, avec son autorisation)--***



La suppression de la ligne


Dans un écrin de verdure et le calme retrouvé, l’ancienne station de chemin de fer est devenue une résidence privée.

Au mois de mai 1954, la portion de voie entre la gare de Rochechouart et la station de Saint-Laurent Saint-Auvent est fermée définitivement à la circulation des trains et le déferrement de la ligne commence.
Au mois d’Août 1958 les bâtiments appartenant à la S.N.C.F. (maisonnettes de passage à niveau et station) sont cédés à leurs derniers occupants ou bien, pour la grande majorité, vendus aux enchères publiques.
C’est ainsi que la station de Saint-Laurent Saint-Auvent mise à prix 1000.000 de francs de l’époque, trouvera acquéreur pour la somme de 1010.000 francs.
La belle histoire du chemin de fer était terminée pour ce bâtiment....